Les personnes âgées en situation de pauvreté seront-elles à nouveau assignées à résidence ?
Officiellement, depuis octobre, les contrôles par les facteurs des bénéficiaires de la garantie de revenu aux personnes âgées (GRAPA) ne sont plus suspendus. Ce qui signifie donc que ces contrôles – qui avaient été dénoncés par notre collectif, parce qu’ils freinaient très fortement les possibilités de déplacement et de voyage des personnes qui en dépendent, entrainant même des quasi- assignations à résidence – vont potentiellement reprendre. Mais du côté des ministres Lalieux et de Sutter, on nous dit qu’il n’y aura pas de reprise des contrôles par les facteurs tant que la procédure n’aura pas été réformée dans son entièreté*. Alors, contrôlera, contrôlera pas ? Reconfinement ou pas pour les personnes âgées en pauvreté ? Des informations pour le moins contradictoires qui provoquent une inquiétude profonde parmi les bénéficiaires.
Mais qu’est-ce qui justifie ces contrôles ? La GRAPA est une allocation d’assistance, financée par les impôts. Ce qui signifie qu’il ne faut pas avoir contribué pour y avoir droit (comme c’est le cas pour la sécurité sociale, qui est financée par les cotisations sociales prélevées sur les rémunérations), mais résider dans le pays qui l’octroie. Dans cette logique, il est compréhensible de vérifier que le bénéficiaire ait bien sa résidence principale et effective dans le Royaume. Mais pas de façon abusive. Est-ce une raison pour que ces contrôles et les obligations qui en découlent soient parmi les plus restrictives de l’Union européenne ? Dans la procédure actuelle, les contrôles sont réalisés par des visites domiciliaires de facteurs, et en cas d’absence de la personne âgée lors des passages des agents de bpost, elle n’a que 5 jours pour prendre connaissance de l’avis de passage et se retourner avant de voir sa GRAPA suspendue. De plus, un bénéficiaire de la GRAPA ne peut partir à l’étranger plus de 29 jours par an, qui plus est en ayant l’obligation de signaler à l’avance chacun de ses déplacements au risque de voir ses revenus suspendus. N’est-il pas discriminatoire que les possibilités de déplacement à l’étranger des bénéficiaires de la GRAPA soient trois fois plus strictes que pour toutes les autres allocations sociales dont peuvent bénéficier les plus de 65 ans ? Ces restrictions empêchent des seniors de rendre visite plusieurs fois par an à leurs enfants, petits- enfants ou proches qui résideraient à l’étranger, obligeant les familles à des choix cornéliens : voir plus longtemps leurs proches, ou risquer de perdre les maigres revenus qui pourtant assurent la fin du mois ?
La fraude sociale à la Grapa est quasiment inexistante en témoigne les évaluations du Service Fédéral Pensions (SFP) qui ont été effectué en 2019. En quatre mois, 56.712 contrôles avaient eu lieu, pour un taux de “sanctions justifiées” de… 0,95%. L’intensité des contrôles pour un tel résultat laisse pantois, en comparaison avec d’autres mécanismes de fraude et d’évasion fiscale. La traque des personnes âgées en situation de pauvreté qui profiteraient quelques jours « de trop » du soleil espagnol et de leur famille laisse amers, à l’heure des Pandora Papers.
Par ailleurs, force est de constater que la logique de résidence associée à la GRAPA se base sur un principe qui a des limites. En effet, si la GRAPA existe pour une part significative de la population, ce n’est pas parce que cette population n’a pas travaillé ou cotisé en Belgique dans le passé : c’est parce que notre système de pensions ne remplit pas toujours son objectif fondamental : celui de protéger les travailleurs des risques de pauvreté lorsqu’ils arrivent à l’âge de la retraite. Ainsi, 80% des bénéficiaires de la GRAPA compensent une pension légale trop basse, en dessous de la pension minimum. 35% d’entre eux sont des indépendants. De plus, la manière dont est organisé notre système de pension actuel fait que les inégalités du marché de l’emploi se renforcent au niveau de l’accès et des montants de la pension, et donc forcément au niveau de la GRAPA. Ainsi, 65,5% des bénéficiaires de la GRAPA sont des femmes. Et dans les 20% des bénéficiaires qui dépendent uniquement de la GRAPA, 78% sont des femmes… ! On sait que ce sont encore majoritairement elles qui mettent leur carrière professionnelle entre parenthèses pour assurer les responsabilités familiales, tâches domestiques comprises. Ce choix (contraint ou pas) ou cette obligation doit-il être gratifié par une assignation à résidence pour leurs vieux jours ? Et puis, rappelons que si la GRAPA est financée par l’impôt, les personnes âgées bénéficiaires consomment en Belgique, y ont leur résidence fiscale et donc contribuent au financement de la GRAPA.
Ce que nous montre dès lors la réalité, c’est qu’actuellement, les contrôles touchent majoritairement des personnes qui ont participé à la société belge, fait fonctionner notre économie et notre régime de protection sociale. Par ailleurs, la population qui dépend de la GRAPA fait partie des groupes les plus vulnérables et fragilisées de Belgique : personnes âgées, ayant vécu une vie de difficultés financières, en état de santé précaire, avec parfois des problèmes importants de logement, de mobilité, d’audition, de lecture et d’écriture ou de compréhension… Toute procédure de contrôle qui exige l’accomplissement de démarches précipite de nombreux ainés dans la privation de leurs ressources financières et le non-recours aux droits. Face à ces constats, nous ouvrons la piste du remplacement de la procédure actuelle de contrôle par une vérification administrative automatisée de la résidence principale, par le biais de croisements réguliers des données inscrites au Registre national.
Les personnes âgées ont aussi besoin de (re)vivre, de voyager, de poursuivre une vie active, de voir leurs enfants et petits-enfants régulièrement y compris quand ceux-ci résident à l’étranger. Nous demandons instamment de cesser la discrimination qui pèse sur les ainés dépendant d’une GRAPA, pour leur garantir les mêmes droits de circulation à l’étranger que les 65+ qui dépendent d’autres systèmes d’allocations sociales (allocation pour l’aide aux personnes âgées, allocations de remplacement de revenus, etc.). Quand on a dépassé l’âge de la retraite, avoir la possibilité de voyager jusqu’à 90 jours par an ne devrait jamais être un luxe ou un privilège, mais un droit. Lâchez-leur la Grap(a) !
Cet article d’opinion est signé par un collectif formé par 47 organisations travaillant ensemble pour un système équitable pour les bénéficiaires de la GRAPA. Le collectif s’est formé en avril passé autour de la défense de six balises minimales relatives à la future réforme, dont ce journal s’est déjà fait l’écho :
Ligue des droits humains
Liga van mensenrechten
Gang des vieux en colère
Belgian Anti Poverty Network
Réseau wallon de lutte contre la pauvreté
Netwerk tegen armoede
ACV-CSC
ABVV-FGTB
CGSLB-ACLVB
CSC Seniors
Pensionnés FGTB
ABVV Senioren
Commission pension CGSP ACOD Bruxelles
Commission Pension CGSP/ACOD ALR-LRB-Bru
Commission pension intersectorielle CGSP ACOD Bruxelles
Coordination des Associations de Seniors
ACV-CSC Transcom – Poste
ACOD Post / CGSP Poste
SLFP Poste / VSOA Post
Collège intermutualité national
Fédération des maisons médicales
Ligue des Usagers des Services de Santé
Mutualités chrétiennes / Christelijke Mutualiteiten
Solidaris
Liberale mutualiteiten / Mutualités libérales
Enéo, mouvement social des ainés
Espace Seniors
Âgo (ex-Ligue libérale des pensionnés)
OKRA
Humanistisch Verbond
Federatie Onafhankelijke Senioren
Vrouwenraad
Conseil des femmes francophones de Belgique
Vie féminine
Femmes prévoyantes socialistes
Synergie Wallonie pour l’égalité
CD&V Senioren
Netwerk van ondernemende senioren
Fédération des services sociaux
Gezinsbond
Union des classes moyennes
Federale Adviesraad voor Ouderen / Conseil consultative fédéral des ainés
Le Forum – Bruxelles contre les inégalités
Neutraal syndicaat voor zelfstandigen / Syndicat neutre pour indépendantsBrussels
Platform Armoede
CGSP/ACOD ALR-LRB-Bru
ATD Quart Monde / ATD Vierde Wereld
* (Un arrêté royal a récemment apporté quelques modifications, clarifiant notamment la façon dont on comptabilise les jours de départ et de retour de l’étranger dans le calcul des jours autorisés par an de séjour à l’étranger. Mais nous parlons ici de la réforme de l’ensemble de la procédure de contrôle, en cours de négociation actuellement.)