Violences envers les femmes : de la bêtise à la désinformation

17 octobre 2022
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publié par: Synergie Wallonie

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Violences envers les femmes : de la bêtise à la désinformation

Mardi dernier, le journaliste François Heureux sur La Première souhaitait recueillir l’avis de deux personnalités du monde judiciaire à propos des avancées en matière de répression des agressions sexuelles, cinq ans après #MeToo. Mal lui en a pris.

Le Centre d’Action Laïque et les signataires souhaitent préciser ce qui n’a pu être fait en direct, car on comprend le désarroi du journaliste devant le florilège de contre-vérités et de biais sexistes qui ont émaillé toute l’émission ; une émission qui n’a jamais mieux porté son nom : « Le parti pris ». Celui des deux invités s’est d’abord exprimé par un évitement systématique et quasi général de ce dont il s’agissait : les agressions sexuelles. Et pour ne pas parler du « phénomène », ni de ces « comportements répréhensibles », quoi de plus efficace que d’argumenter directement sur les « dérives » du mouvement MeToo ? Entendez les femmes qui mentent, ou celles qui déposent plainte pour « une main sur l’épaule ». Ceci permet dans la foulée de dénoncer l’encombrement des tribunaux à cause de ces affaires qui ne devraient pas se retrouver devant un juge…

Tentant le tout pour le tout, François Heureux demande s’il y a encore du travail à faire dans la justice pour mieux écouter les victimes. Celui qui est présenté comme le porte-parole de la Cour d’appel de Bruxelles nuance grandement et précise, sans rire, qu’au début de sa carrière, soit il y a environ de 40 ans, une grande part des magistrats était sensibilisée aux violences envers les femmes. Vous l’aurez compris, les classements sans suite pour faits de viols (60%) résultent de dossiers sans preuve suffisante et non d’une mécompréhension des mécanismes qui sont à l’origine de #100viols par jour en Belgique.

Quant à la réforme du Code pénal du 1er juin dernier, dont l’objectif est précisément de s’attaquer aux infractions sexuelles, elle est inutile selon ce juge à la retraite. Alors que les infractions sexuelles se voient attribuer de nouvelles définitions, que les peines sont alourdies dans certains cas et que la nécessité du consentement obtient une place centrale, la réplique fuse : « Un consentement est un consentement ! ».  Or, c’est précisément sa limitation dans le temps et le respect du non-consentement qui doivent désormais permettre au juge d’apprécier s’il y a eu agression ou relation consentie. Le consentement est l’excuse de l’agresseur, faire valoir son non-consentement, la défense de la victime. On comprend vite que celle-ci n’aura pas voix au chapitre dans cet échange qui va crescendo dans l’inacceptable.

Passons sur l’avocate pénaliste qui, lorsqu’on lui demande ce qu’elle pense du nouveau procès contre Harvey Weinstein, fait l’éloge du producteur et énumère ses récompenses, s’attachant à démontrer que les droits de la défense n’ont pas été respectés. Sans un mot pour les dizaines de victimes d’Harvey Weinstein, ni pour celles qui ont eu le courage, en 2017, de l’assigner devant le tribunal New York dont il est ressorti avec une peine de 23 ans de prison.

Nous arrivons à la fin de l’émission et du calvaire pour bon nombre d’auditrices et d’auditeurs, qui doivent encore avaler la commune  conclusion des deux invités : il faut arrêter cette justice de genre ! Et d’affirmer qu’il serait contraire à la justice d’envisager les agressions envers les femmes autrement que tout acte de violence envers quiconque.

En bref, ils nient tous deux le caractère structurel du sexisme et de son corollaire, la violence contre les femmes. Doit-on rappeler à ces deux membres éminents du monde judiciaire belge que la Belgique a ratifié en 2016 la Convention d’Istanbul ? Que le caractère systémique des violences envers les filles et les femmes, en particulier les violences sexuelles, résultent d’une structure de la société qui discrimine les femmes dans tous les domaines et particulièrement dans la reconnaissance des agressions qu’elles subissent ?

Ces propos aberrants, à une heure de grande écoute sur la radio de service public, viennent contrecarrer tous les efforts fournis depuis des décennies pour enfin mieux défendre et protéger les victimes d’agression sexuelle. On peut craindre le pire si nous en sommes là dans le monde judiciaire : nier les travaux académiques et juridiques qui démontrent qu’il existe bien un « continuum » des violences envers les femmes, et réfuter le constat que les violences envers les femmes résulte d’une structuration sexiste de la société. Persister dans l’indulgence coupable envers les agresseurs, c’est aussi renvoyer les victimes à leur sort personnel, alors qu’il s’agit d’un fléau généralisé : en Belgique, une femme sur cinq a été victime de viol, huit femmes sur dix ont subi une forme de violence sexuelle au cours de leur vie. Seulement 6% portent plainte et lorsqu’elles le font, la majorité (53 %) de ces plaintes sont classées sans suite. Chacun a le droit d‘avoir une opinion. Mais si s’exprimer quand on ignore le sujet est une preuve de bêtise, désinformer sciemment, surtout quand on appartient à la magistrature, est une faute grave.

Signataires

Le Centre d’Action Laïque, le Conseil des femmes Francophones de Belgique- CFFB, Synergie Wallonie, JUMP, FEM&LAW, la Marche Mondiale des Femmes-MMF, Marianne, l’Observatoire féministe des violences faites aux femmes, la Fondation Anne-Marie Lizin, Touche Pas à Ma Pote, Beabee, les Amis de la Morale Laïque, le Centre pour l’Egalité entre les femmes et les hommes Verviers, et les membres du Collectif #DROITSdesFEMMES : Monique Chalude, Emmanuelle Dardenne , Dominique Devos, Brigitte Dreyfuss, Bea  Ercolini, Sophie Rohonyi, Bernard Scheyen, Catherine Haxhe, Michèle Hirsch, Isabelle Kempeneers, Anne Lambelin, Sylvie Lausberg Laurence Noël, Jean-François Renard, Gisèle Mandela, Latifa Aït-Baala, Michel Lussan, Marie Nagy, Richard Prospero, Marie-Cécile Royen, Joëlle Winkel

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