On aime retenir de Pierre de Coubertin, initiateur des Jeux Olympiques, l’amour du sport dans lequel l’important est de participer. On oublie cependant souvent que ce cher Pierre, misogyne et raciste invétéré, n’appliquait cette maxime qu’à une frange restreinte de la population. Depuis lors, l’athlétisme, entre autres sports, a lentement mais sûrement intégré les femmes dans les compétitions : les hommes courent le 800m, les femmes aussi ; les hommes font un marathon de 42 kilomètres, les femmes aussi ; les hommes tournent sur eux-mêmes pour balancer un vinyle dans les airs, les femmes aussi.
Toutefois, cette parité n’est pas encore totalement atteinte, comme nous en avons pu nous rendre compte lors des récents championnats du monde à Londres, où les amateurs.trices de sport ont pu vibrer devant les exploits de notre compatriote Nafissatou Thiam, formidable médaillée d’or de l’heptathlon. Et qui a remporté l’heptathlon chez les hommes ? Personne.
Un décathlon pour les femmes ? La bonne blague !
L’homologue masculin de Nafi Thiam est en réalité Kevin Mayer, médaillé d’or du…décathlon. En effet, les hommes combinent dix épreuves dans cette discipline exigeante, tandis que les femmes n’en combinent que sept. Comme le signale le blog Déca Passion, le décathlon féminin a pourtant été officiellement (et logiquement) instauré dans les compétitions internationales en 2002. En 2004, la Française Marie Collonvillé établissait un record du monde lors du premier décathlon féminin international. L’année suivante, le record était battu par la Lituanienne Austra Skujyte, autre grande heptathlète de l’époque.
Or, alors que l’évolution semblait bien en marche, c’est le néant depuis 2006. Les grands meetings internationaux n’ont plus mis cette compétition à leur programme, empêchant par-là les athlètes de poursuivre leurs entraînements dans cette voie. Certains entraîneurs auraient timidement avancé que ce n’était pas une bonne idée, que l’heptathlon comptait déjà peu d’athlètes féminines et qu’ajouter trois épreuves supplémentaires entraînerait leur découragement.
Les auteurs du blog réfutent cette explication boiteuse et plaident pour une réinstauration durable du décathlon féminin. Ils considèrent que l’heptathlon ne se présente pas comme une épreuve combinée aboutie : la plupart des heptathlètes seraient avant tout de grandes spécialistes de disciplines précises, comme le 100m haies, la hauteur ou la longueur, restant plutôt faibles (d’une manière générale) dans les lancers. Les hommes, devant également concourir au saut à la perche ou au lancer du disque, se révèlent des athlètes non pas plus talentueux mais forcément plus complet. L’ajout de disciplines supplémentaires pour les femmes, auxquelles elles participent d’ailleurs déjà individuellement, les rendraient plus polyvalentes, plus puissantes et plus résistantes. Elles seraient peut-être moins exceptionnelles dans l’une ou l’autre spécialité mais correspondraient davantage à l’esprit des épreuves combinées centrées sur des athlètes complèt-e-s.
Peut-on imaginer voir Nafi Thiam s’adjuger un jour un nouveau record du monde du décathlon féminin ? Difficile à prévoir, d’autant que les mentalités évoluent souvent davantage avec la lenteur d’une course d’escargots qu’avec l’explosivité d’un 100m. À titre d’exemple, le journal Le Soir a fait de ce thème l’objet d’un poisson d’avril en 2016. Visiblement pas au courant que la discipline existait déjà (même en sommeil), le journaliste avait trouvé très amusant d’imaginer une chose aussi incongrue… Une femme qui fait du décathlon, hahaha !
100 ou 110 mètres haies : une question de hauteur ?
Une autre discipline pose question quant à la différence faites entre les femmes et les hommes. Aux championnats du monde de Londres, Sally Pearson remportait la mise pour les unes sur 100m haies, tandis qu’Omar McLeod se hissait sur la plus haute marche du podium pour les autres sur 110m haies.
Pourquoi les hommes courent-ils dix mètres de plus que leurs consœurs ? L’explication tient essentiellement à la hauteur des haies et au gabarit des athlètes. D’une part, l’obstacle monte à 1,06m pour les messieurs et à 0,84m pour les dames ; d’autre part, les foulées sont plus grandes chez les hommes et une certaine distance doit être calculée entre les haies pour assurer la fluidité de la course. Or, comme l’explique un article du Monde, les obstacles de l’épreuve féminine seraient trop bas : en effet, la haie arrive en moyenne au niveau des hanches chez les hommes et seulement en haut des cuisses pour les femmes.
Des recherches ont démontré que le relèvement de l’obstacle à 0,91m serait tout à fait approprié. Selon Sharon Hannan, coach de Sally Pearson, sa championne n’aurait guère de difficultés à s’adapter à une nouvelle hauteur, même si un temps d’adaptation serait nécessaire pour retrouver une technique au top niveau. Par ailleurs, un relèvement des haies pourrait parallèlement nécessiter une augmentation de la distance entre elles : « il faudrait alors allonger la course de 5 ou 10m » estime la coach Hannan. Ce qui pourrait mener à une épreuve de…110m, comme les hommes, malgré la différence de hauteur des haies.
Est-il dès lors vraiment impossible de supprimer la différence (parfois) symbolique entre hommes et femmes, et que tou-te-s les athlètes aient la possibilité de disputer les mêmes épreuves, certes séparément (encore que des concours mixtes, par exemple dans des épreuves combinées, pourraient tout à fait être imaginées) mais sans que les femmes doivent nécessairement en faire moins que les hommes, au motif qu’elles sont des femmes ?
Le journaliste du Monde pose en fin d’article une question impertinente : et si on inversait pour une fois la logique et que l’on abaisse les haies des hommes plutôt que de monter celles des femmes ? Et si on faisait en sorte que les hommes courent également un 100m haies ? En proposant que les hommes se conforment aux femmes, on voit tout de suite la dangereuse impertinence de la question…
Baptiste Dethier
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